Hans Bellmer
Lorsque les nazis arrivent au pouvoir, en 1933, Hans Bellmer prend la décision de mettre fin aux travaux qui pourraient servir l’État et entame une véritable carrière artistique. L’année suivante, il décide de « construire une fille artificielle aux possibilités anatomiques capables de rephysiologiser les vertiges de la passion jusqu’à inventer des désirs1 ». Plusieurs références et anecdotes permettent de documenter la recherche de Bellmer sur La Poupée : les mannequins anonymes des premiers tableaux de Giorgio De Chirico et la poupée imaginée par Oskar Kokoschka à la fin des années 1910 ; puis une caisse remplie de jouets envoyée par sa mère où se trouvaient des poupées désarticulées qui provoquèrent chez lui « un choc et une durable nostalgie de l’enfance2 ». Une fois l’armature de bois et de métal imaginée avec l’aide de son frère Fritz, ingénieur de profession, Hans Bellmer anime sa poupée, la place dans différentes configurations, la dessine et la photographie. Il en tire une série qu’il publie sur une magnifique double page de la revue Minotaure (n° 6, 1936) et les éditions GLM publient simultanément le texte La Poupée dans une traduction de Robert Valançay. En fonction des angles de vue, l’artiste révèle différentes possibilités d’interpréter l’anatomie et en fait un « jouet provocateur ». À partir de 1935, Bellmer travaille sur une deuxième poupée, plus synthétique ou abstraite, qui cette fois est articulée par un nouveau système de rotules autour de la boule centrale du ventre (procédé qu’il avait observé sur une figurine d’Albrecht Dürer). Par ailleurs, il commence à rehausser les épreuves à l’aniline colorée. Les Jeux de la Poupée seront édités en 1949 avec des textes de Paul Éluard.
Les surréalistes, avec qui Bellmer à régulièrement exposé, ont été particulièrement actif pour favoriser la redécouverte de l’oeuvre littéraire du Marquis de Sade. Les travaux de Maurice Heine et les documents publiés par la revue Le Surréalisme au service de la Révolution (1931-1933) sont en cela décisifs. Bellmer publie 10 gravures en hommage à Sade dans un livre illustré édité en 1961 par Georges Visat et il réalise quelques années plus tard plusieurs dessins importants en vue de publier une édition illustrée de La Philosophie dans le boudoir (1969). Fervent lecteur de Sade, en particulier de La Philosophie, qui consiste en une série de dialogues retraçant l’éducation érotique et sexuelle d’une jeune fille de quinze ans, Bellmer parvient avec son dessin extrêmement précis et incisif à « revitaliser le désir et à inventer de nouveaux fantasmes ».
D’un format exceptionnel, notre dessin est également doté d’un pedigree prestigieux : vendu par la galerie André-François Petit, il a fait partie de la collection de Claude et Georges Pompidou et a été exposé dans l’importante rétrospective Bellmer organisée par le Centre Pompidou en 2006.
1. Marielle Crete, « Biographie », in Hans Bellmer, catalogue d’exposition, Paris, Filipacchi, 1971.
2. Michaell Semff et Anthony Spira, Hans Bellmer, Ostfildern, Hatje Cantz Verlag, 2006, p. 241.
Provenance
Collection privée Genève
Exhibitions
Amsterdam, 1970, Hans Bellmer, Stedelijk Museum, n° 43.
Paris, Munich, Londres, 2006, Hans Bellmer. Anatomie du désir, Paris, Centre Georges-Pompidou, 2006 (étiquette au revers).
Munich, Staatliche Graphische Sammlung; Whitechapel Art Gallery, Londres, Hans Bellmer, Anatomie du désir, 2006, no. 216, illustré p. 212.
Literature
Pierre Dourthe, Bellmer, le principe de perversion, Paris, Jean-Pierre Faur éditeur, 1999, n° 330.
Collectif, Hans Bellmer. Anatomie du désir, Paris, Gallimard / Centre Pompidou, 2006, n° 216, p. 212.
« Quand Bellmer, fuyant l’Allemagne nazie, s’installe à Paris, en 1938, il est connu et admiré (par Éluard notamment) pour ses troublantes Poupées. Mais c’est l’oeuvre dessiné qui mettra ensuite dans une juste lumière ces jeux qui, sans cela, pourraient apparaître ceux d’un maniaque plutôt que d’un créateur de formes, leur donnant l’ampleur et la pureté de l’imaginaire. Dessins magistraux, d’une finesse, d’une sûreté incomparables, où se retrouvent la main de l’ancien dessinateur industriel et l’œil de l’admirateur d’Altdorfer, de Dürer. Chaque fois un corps féminin s’ouvre, se démultiplie comme une fleur effeuillée d’une main cruelle, se noue et se convulse comme fuyant ou appelantune torturante jouissance ; ou bien c’est un couple soudé sur la roue de son étreinte, transformé enune créature androgyne, divinité mythique sur laquelle se lisent – comme en une sorte d’anagramme – toutes les métamorphoses du désir. Bellmer illustrera (1965) Madame Edwarda, de Bataille : l’érotisme de l’écrivain et celui de l’artiste partagent la même fièvre et la même gravité. » Gaëtan Picon, Journal du surréalisme, Skira, 1976, p. 167.
Lorsque les nazis arrivent au pouvoir, en 1933, Hans Bellmer prend la décision de mettre fin aux travaux qui pourraient servir l’État et entame une véritable carrière artistique. L’année suivante, il décide de « construire une fille artificielle aux possibilités anatomiques capables de rephysiologiser les vertiges de la passion jusqu’à inventer des désirs1 ». Plusieurs références et anecdotes permettent de documenter la recherche de Bellmer sur La Poupée : les mannequins anonymes des premiers tableaux de Giorgio De Chirico et la poupée imaginée par Oskar Kokoschka à la fin des années 1910 ; puis une caisse remplie de jouets envoyée par sa mère où se trouvaient des poupées désarticulées qui provoquèrent chez lui « un choc et une durable nostalgie de l’enfance2 ». Une fois l’armature de bois et de métal imaginée avec l’aide de son frère Fritz, ingénieur de profession, Hans Bellmer animesa poupée, la place dans différentes configurations, la dessine et la photographie. Il en tire une série qu’il publie sur une magnifique double page de la revue Minotaure (n° 6, 1936) et les éditions GLM publient simultanément le texte La Poupée dans une traduction de Robert Valançay. En fonction des angles de vue, l’artiste révèle différentes possibilités d’interpréter l’anatomie et en fait un « jouet provocateur ». À partir de 1935, Bellmer travaille sur une deuxième poupée, plus synthétique ou abstraite, qui cette fois est articulée par un nouveau système de rotules autour de la boule centrale du ventre (procédé qu’il avait observé sur une figurine d’Albrecht Dürer). Par ailleurs, il commence à rehausser les épreuves à l’aniline colorée. Les Jeux de la Poupée seront édités en 1949 avec des textes de Paul Éluard.
Les surréalistes, avec qui Bellmer à régulièrement exposé, ont été particulièrement actif pour favoriser la redécouverte de l’oeuvre littéraire du Marquis de Sade. Les travaux de Maurice Heine et les documents publiés par la revue Le Surréalisme au service de la Révolution (1931-1933) sont en cela décisifs. Bellmer publie 10 gravures en hommage à Sade dans un livre illustré édité en 1961 par Georges Visat et il réalise quelques années plus tard plusieurs dessins importants en vue de publier une édition illustrée de La Philosophie dans le boudoir (1969). Fervent lecteur de Sade, en particulier de La Philosophie, qui consiste en une série de dialogues retraçant l’éducation érotique et sexuelle d’une jeune fille de quinze ans, Bellmer parvient avec son dessin extrêmement précis et incisif à « revitaliser le désir et à inventer de nouveaux fantasmes ».
D’un format exceptionnel, notre dessin est également doté d’un pedigree prestigieux : vendu par lagalerie André-François Petit, il a fait partie de la collection de Claude et Georges Pompidou et a étéexposé dans l’importante rétrospective Bellmer organisée par le Centre Pompidou en 2006.
1. Marielle Crete, « Biographie », in Hans Bellmer, catalogue d’exposition, Paris, Filipacchi, 1971.2. Michaell Semff et Anthony Spira, Hans Bellmer, Ostfildern, Hatje Cantz Verlag, 2006, p. 241.